Présentation de l'éditeur :
Dans le cadre de leur club très fermé, des femmes de la meilleure société américaine ont invité la romancière en vogue Osric Dane, celle qu'il faut absolument avoir lue. Précieuses et ridicules, elles y vont de leurs commentaires insipides, et ne manquent pas de s'attirer en retour les foudres de l'écrivain. Contre toute attente, l'une d'elles renverse la situation et met à mal l'écrivain en lui demandant ce qu'elle pense de Xingu... Quel est donc ce Xingu que tout le monde semble connaître ?
Auteur du Temps de l'innocence, Edith Wharton (1862-1937), ironise avec virtuosité sur le snobisme en matière de culture.
Ma lecture :
La sympathique proposition de challenge émise par George m'a permis de faire une belle découverte.
Jamais je n'avais entendu parler de l'auteure et j'ai donc préféré me lancer dans ce nouveau challenge avec une nouvelle. A la lecture des 4ème de couverture de ses ouvrages, j'avais également quelques craintes de tomber sur une Jane Austen ou un Wilkie Collins en moins bien... J'ai donc ciblé cette nouvelle d'une cinquantaine de pages, un peu différente de ce qui semble avoir fait son succès. La thématique reste celle de la fatuité de quelques bourgeoises inoccupées, cherchant à passer le temps en discourant pour ne strictement rien dire !
"Le but de notre petit club, continua Mrs Ballinger est de regrouper, au plus haut niveau, tout ce que Hillbridge compte de courants de pensées ; de rassembler, de canaliser toute cette énergie intellectuelle." (page 24)
L'écriture est savoureuse, la description des personnages fine et les caractères apparaissent insignifiants mais tant gonflés d'orgueil ! Cette nouvelle est un vrai plaisir. L'humour de Edith Wharton transpire à chaque page. Les portraits, qui ne sont pas très éloignés de la caricature, sont le fruit d'une analyse sans concessions de la société aristocratique dans laquelle l'auteure a grandi.
L'introduction d'un nouveau sujet par Mrs Roby, sans concertation préalable de ses consoeurs, met à mal l'ensemble des convives et introduit les premières failles dans leur routine bien huilée. Qu'est-ce donc que le Xingu ? Si vous n'en savez rien vous-même, gardez-vous d'aller chercher la clé de ce mystère et laissez-vous conduire par le verbiage de nos dames de salon. Les indices parsemés par Mrs Roby devraient vous mettre sur la voie, mais si tel n'était pas le cas, peu importe, on vous dira tout à la fin de la nouvelle.
En attendant, ce sujet est prétexte à véhémentes discussions entre la romancière invitée et les membres du Lunch Club. Ni les unes ni les autres ne savent de quoi les autres parlent, mais chacune prend part à la conversation avec un aplomb qui suscite l'admiration. Nous ne sommes pas bien loin de Wisteria Lane dans cette nouvelle, sauf que ici, point de meurtres, de suicides ou d'adultères... Tout est désespérément lisse et parfaitement inutile. Hormis peut-être Mrs Roby qui offre quelques aspérités à travers un passé un peu exotique et l'introduction du sujet de discussion : le Xingu.
Une histoire de femme...
C'est le principe du challenge proposé par George : "J’aimerais donc que, dans chacun de vos billets, vous valorisiez l’héroïne qui vous aura le plus intéressés, énervés, touchés, etc. Cela dans le but d’établir une sorte de panorama des héroïnes d’Edith Wharton et de, peut-être, faire émerger une réflexion plus large sur la place de la femme dans ses romans."
Pour cette première lecture, j'ai choisi de vous parler plus particulièrement de Mrs Leveret.
Pourquoi Mrs Leveret ? Parce que comme ses consoeurs, son existence semble parfaitement dénuée de tout intérêt, mais que, de plus, on se demande à chaque page ce qu'elle peut bien trouver d'intéressant dans ce genre de club, y paraissant si mal à son aise.
Mrs Leveret apparaît réservée, docile, influençable. Si elle n'est peut-être pas plus sotte que les autres membres du club, elle est la seule à avoir conscience de ses limites.
"Si la pensée d'échanger avec des idées avec l'auteur des Ailes de la mort rendait nerveuse des membres ordinaires comme Mrs Leveret, aucune appréhension ne venait troubler l'assurance de Mrs Plinth, de Mrs Ballinger ou de Miss Van Vluyck." (page 9)
Mrs Leveret n'a pas de point de vue trop affirmé. Elle en change selon les circonstances. Son objectif, aller dans le sens du vent et ne point trop paraître en décalage avec le discours ambiant.
"Assurément pas, c'est ce que j'allais dire, renchérit Mrs Leveret, remballant bien vite son opinion pour en présenter une autre."
Et pour couronner le tout, si Mrs Leveret n'est pas ce que l'on appelle une lumière.
"Je voulais dire instruire, bien sûr, dit Mrs Leveret, inquiète d'une distinction entre deux termes qu'elle avait cru synonymes et à laquelle elle ne s'attendait pas. Le plaisir que prenait Mrs Leveret à participer au Lunch Club était souvent gâché par des surprises de ce genre. Comme elle ignorait que sa seule valeur, aux yeux de ces dames, se bornait à celle d'un miroir leur renvoyant l'image de leur fatuité intellectuelle, elle s'inquiétait parfois jusqu'à se demander si elle était vraiment à la hauteur de leurs débats. Seule une soeur idiote qui la croyait intelligente la gardait contre le sentiment de son irrémédiable infériorité." (pages 12-13).
Cet extrait met également en lumière tout l'humour dont est capable Edith Wharton et ce qui fait la truculence de son récit.
Mrs Leveret est vite dépassée par les sujets de conversation et son assurance prise en défaut dès lors qu'elle n'a pas trouvé le temps de préparer ces fameux rendez-vous au Lunch Club.
"Même son exemplaire des Citations classées, avec son contact familier et rigide lorsqu'elle s'assit, ne réussit pas à lui rendre sa confiance. C'était un admirable petit volume de références, rassemblées pour parer à toute éventualités de la vie en société (...)" (page 17)
Au-delà de cette présentation peu grâcieuse, on peut dire néanmoins que Mrs Leveret n'est pas d'une méchante nature, et sa réserve peut même la faire paraître sympatique. C'est peut-être pour cette raison que mon choix s'est porté sur elle, aucune des autres membres du Lunch Club ne m'inspirant une quelconque empathie.
"Même Mrs Leveret retrouva assez de courage pour lancer timidement mais avec ironie : "J'imagine qu'Osric Dane ne s'attendait pas à prendre des leçons de Xingu à Hillbridge !"" (page 39)
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Une première lecture à inscrire aux challenges de George et de Opaline.