Présentation de l'éditeur :
Un champion d'échecs russe participe à un tournoi qualificatif pour le titre mondial. Au fur et à mesure des parties, comme monte progressivement un suspense intense, l’homme vieillissant se remémore les étapes importantes de sa vie : ses succès de jeunesse, sa découverte du haut niveau, ses années de labeur auprès de Karpov, puis son exil en France, loin de cette URSS qui a façonné son destin. Au-delà des peines et des désillusions, au-delà de la solitude, la passion perdure, à fleur de peau. Alors que les rondes se succèdent et que nous partageons ses émotions les plus intimes, son ambition intacte nous porte à espérer : cette dernière ronde le mènera-t-elle enfin à la consécration ?
Un premier roman rare, à la construction haletante, véritable plongée dans l’univers des échecs. Surtout, la radiographie d’un champion qui oscille en permanence entre la nécessité d’accepter ses limites et la poursuite inlassable de son rêve.
Ma lecture :
Le début du roman m'a laissée un peu perplexe. Dans ce livre, l'auteur nous fait le portrait d'un joueur d'échecs en fin de carrière, à travers les 11 rondes d'un tournoi qualificatif pour le titre mondial. Ma question a rapidement été celle de savoir comment Ilf-Eddine allait bien pouvoir me retenir jusqu'à la fin des 195 pages du roman en ne me parlant que de ce tournoi. Finalement, ce n'est pas tant ce tournoi précis qu'il évoque mais surtout tous les autres, et tout ce que fut la vie de ce champion. Très vite, le suspens prend forme et nous invite à parcourir les 11 parties du tournoi. Pas seulement pour connaître le résultat final, bien que celui-ci soit rendu important par la vie qui se déroule sous nos yeux, au fil des pages. Mais surtout pour savoir quel regard porte ce champion sur sa vie, faite de succès et bien rapidement de frustrations, de contraintes et de désillusions.
Ce champion m'a énormément touchée. On perçoit sa sensibilité à travers chaque souvenir, chaque partie. On ressent sa solitude, de tournois en tournois. On s'attache, même si certains de ses choix sont contestables. On éprouve une certaine douleur à entendre cette histoire, née à la fois au champion lui-même et à sa solitude, mais aussi à son histoire et aux déceptions qui furent souvent les siennes.
Malgré tout, Ilf-Eddine nous transmet avec force la passion qui anime le joueur, les plaisirs qu'il trouve à jouer et à partager cet appétit. Toute une vie consacrée aux échecs ! Cela m'a d'ailleurs laissé un petit goût amère une fois la dernière ligne achevée : tant de solitude pour quoi finalement ... Une vie toute entière vouée à une unique passion, et si peu d'amour en retour ... J'avoue que ce livre m'a laissée un peu mélancolique, et ce n'est pas du tout une critique ! C'est aussi la preuve d'une écriture soignée.
Ce livre nous permet également de cotoyer les plus grands champions du jeu d'échecs, de Botvinnik aux jeunes champions français que sont Lautier, Bacrot, Nataf ou Vachier-Lagrave, en passant bien sûr par Karpov dont le champion a été le secondant, Kasparov, Topalov, Fisher, ... Tous y sont, il n'en manque probablement pas un. Il y en a surtout un de trop, selon moi ... L'hommage à JC Loubatière, ancien président de la Fédération Française des Echecs, traduit certainement une sympathie sincère de l'auteur, mais me semble incongrue dans ce roman.
Et à ce stade, je sens que j'ai perdu certains d'entre vous ... Je vous parlerais bien des ouvertures évoquées, avec une prédilection affichée pour la Française ... mais ce serait au risque de perdre ceux qui suivent encore.
Car effectivement, ce livre me semble accessible surtout aux initiés de ce jeu et de ce milieu ... L'émotion transmise par ce roman est sûrement palpable pour chacun, mais à condition de faire fi des permanentes références aux joueurs et au jeu lui-même. Car en effet, sans saisir l'enjeu des positions tactiques présentées, l'écriture permet de transmettre l'émotion du jeu (voir extrait n°3 ci-dessous où l'on perçoit la tension sur l'échiquier monter au fil des échanges pour parvenir à son paroxysme avec l'abandon de l'adversaire). Les amateurs du noble jeu, eux, apprécieront certainement. Les autres saisiront-là l'occasion de découvrir un milieu tout à fait captivant : la description qui en est faite est très juste.
PS : j'ai trouvé quelques commentaires très enthousiastes de ce livre, formulés par des lecteurs qui connaissent rien au jeu d'échecs ... Aller lire les billet de Jostein et de Séverine.
Extraits :
Première phrase - "Sur l'ensemble de ma vie, j'ai dormi à l'hôtel aussi souvent que chez moi. J'ai connu des établissements modestes, mal chauffés et vétustes, et d'autres, luxueux, qu'ils soient cathédrales soviétiques ou emblèmes impersonnels de la mondialisation. A chaque fois, j'ai aimé l'apaisement procuré par cette clé que l'on vous tend, cette porte qui s'ouvre, cette chambre qui s'offre à vous." (La denrière ronde - Ilf-Eddine - Editions Elyzad - page 11)
"Ce prestige qui n'a pas tardé à m'auréoler s'est limité au milieu restreint des joueurs d'échecs. Dans la vie courante, le regard que les gens posaient sur moi était très différent de ce que j'avais pu connaître en URSS. Etre joueur d'échecs professionnel à Moscou n'avait rien d'excentrique, c'était une belle réussite sociale [...]. A Montpellier, en revanche, cela provoquait l'étonnement, un sourire généralement bienveillant mais tout de même incrédule : j'étais passé du rang de notable à celui de curiosité." (La denrière ronde - Ilf-Eddine - Editions Elyzad - page 106)
"Dame en h5 menace mat en h7. Pion noir poussé en h6. Dame en g6 sur la case ainsi libérée, renouvelant la menace de mat. Pion h6 prend cavalier g5 - forcé. Pion h4 prend pion g5 - échec au Roi noir par la Tour en h1. Roi noir en g8. Tour blanche en h8 - échecs au Roi. Roi prend Tour. Dame blanche en h5 - échec au Roi. Roi noir retourne en g8. Pion g5 en g6 - mat en deux coups - mon adversaire abandonne - toujours impassible de visage, mais sa poignée de main témoigne de son naufrage." (La denrière ronde - Ilf-Eddine - Editions Elyzad - page 154)